Après un premier chapitre consacré aux « sous-vêtements », voilà une interrogation qui me semble fort intéressante : quand devient-on gros ? Et par là, je n’entends pas « quand on ne peut plus fermer son jean » ou « qu’on doit payer deux places dans l’avion », mais quand devient-on gros « dans sa tête » ? Est-ce que la vérité nous explose au visage telle une révélation cataclysmique (cf : comme le Père Noël ou le « C » du logo Carrefour) un beau matin à 10, 15, ou 40 ans ? Est-ce que c’est un état qu’on perçoit seul·e comme un grand ou le lit-on dans le regard de l’autre ?
L’autre…
Cet autre qui endosse plusieurs rôles : celui d’échelle de référence – on se compare – et celui de juge qui donne son avis sur notre personne et notre corpulence. Bien sûr, l’autre n’est pas nécessairement mauvais et son jugement seulement négatif, mais dans les faits – on le sait – l’autre est cruel. Surtout à l’enfance et l’adolescence, alors que ce début de vie est essentiel à la construction de la personne qu’on deviendra une fois adulte.
Personnellement, je crois que je suis « devenue » grosse vers 10/11 ans, même si, dès mes 7 ans environ, j’étais déjà un peu complexée par rapport à d’autres. Je regardais mes copines plus grandes que moi, plus minces, bref plus jolies. Je me souviens exactement de la période. Pourtant j’ai une photo de moi à ce moment-là, et je n’étais absolument pas « grosse », loin de là, en tout cas pas autant que je le croyais. Mais je me suis mise seule dans cet état de jugement, et ensuite c’est comme si cela avait été trop tard. Année après année, je grossissais et découvrais l’amère vérité l’été chez ma grand-mère (on n’avait pas de balance chez moi). +10 kg/an environ. Un chiffre rond, c’est bien, c’est facile à retenir !
Le tout s’accompagnant évidemment de gentilles insultes quotidiennes de la part de mes camarades de classe. Le pire ayant été en classe de 4ème où, avec mon regard d’adulte je peux désormais le dire, je subissais du harcèlement scolaire. Sauf que le recul, à cet âge-là, je n’en avais pas ou moins, et il est plus difficile de concevoir à 13 ans que l’autre n’a pas son mot à dire sur notre personne quand il se permet de le faire en meute, au quotidien.
Cette situation, je sais qu’on a été nombreux·ses à la vivre. Se sentir gros dans le regard de l’autre. C’est autrui qui nous informe amèrement qu’on n’est pas dans la norme, pas au niveau… Cette souffrance est initiée par l’autre et chacun·e essaie de digérer tant bien que mal et de réparer les dégâts. Par la suite, ce jugement est tellement intégré à notre quotidien qu’on n’a même plus besoin de l’autre pour être jugé. On se suffit à nous-même. Nous sommes – au quotidien – le pire des juges. On est d’ailleurs souvent plus bienveillant avec autrui qu’avec nous-même…
Oui, on est toutes et tous « devenu » gros à un moment donné – situation réelle ou fantasmée peu importe – mais ce n’est pas irréversible, et ce serait bien qu’on arrive à intégrer cette notion-là aussi. Si on souhaite changer, faisons-le avec toute la bienveillance qu’on accorderait à d’autres.
Evidemment que je ne peux plus dire à mon moi de 10 ans que tout va bien, et qu’elle n’a pas fini sa croissance, donc il n’y a pas lieu de s’alarmer. Mais si on ne peut pas changer le passé, pansons notre présent pour améliorer notre futur.